Rebecca est née sous un immense soleil et une chaleur écrasante, un 29 août. Sa mère, Mary-Jane, était très affaiblie, car elle avait souhaité accoucher chez elle, sans péridurale. Cependant, la naissance s'était passée à merveille et Mary-Jane comme John, son père, étaient des parents comblés. Son grand frère, Gabriel, avait déjà cinq ans et regardait le bébé avec une pointe de jalousie mais aussi beaucoup de curiosité.
Ses premières années se déroulèrent sans encombre, même si Mary-Jane, trop protectrice avec ses enfants, ne les laissait pas sortir. Gabriel faisait déjà l'école à la maison, suivi par Rebecca dès qu'elle eut quatre ans. Ils quittaient seulement leur maison trois fois par semaine, pour se rendre aux messes données par l'Eglise de la Résurrection. Jamais ils ne la manquaient, et le dimanche était un jour spécial puisqu'ils pouvaient s'y rendre en famille. Les jeunes années de Rebecca furent donc austères, monotones, mais non dénuées d'amour. Ses journées étaient consacrées à l'apprentissage des livres sacrés, et lorsqu'elle avait bien travaillé, elle avait le droit de jouer. Sa mère leur préparait à son frère et elle de succulents gâteaux et n'était pas avare de câlins. De plus, Rebecca et Gabriel étaient très proches, le dernier protégeant sa petite sœur et lui racontant des histoires. Souvent le soir, la fillette quittait son lit pour rejoindre son frère. Alors, même si elle ne rencontrait pas d'autres enfants, elle ne se sentait pas seule.

Cependant tout changea bientôt. En effet, Rebecca eut de nombreuses et terribles migraines à partir de ses six ans. Pendant quelques mois, ses parents se contentèrent de lui donner du doliprane en attendant que ça passe. Ce n'était pas du tout dans leurs habitudes de consulter des médecins. Toutefois, après une crise particulièrement forte où l'enfant était allée jusqu'à se taper la tête contre le mur pour cesser d'avoir mal, ils durent s'y résoudre. Le médecin traitant les envoya directement chez un spécialiste. Celui-ci ne perdit pas de temps, devinant immédiatement la raison de ces maux de tête insoutenables. Et le diagnostic était sans appel. Rebecca était une Sigma. Après quelques questions supplémentaires à la petite, il penchait pour la télépathie.
Le monde s'effondra alors pour Mary Jane et John. Ils avaient échappé aux Aptitudes avec leur aîné, et s'ils avait hésité cinq ans avant de faire un nouveau bébé, c'était par peur qu'il soit Sigma. Mais il n'y avait que 30% de chance, alors ils avaient tenté le sort. Et Dieu venait de les punir. Évidemment, ils ne comptaient pas abandonner la petite Rebecca, mais elle était le fruit du démon. À partir de ce moment-là, la vie devint encore plus austère pour elle, tous les espoirs des parents se placèrent sur son grand-frère.
Une fois par semaine, Rebecca allait voir un éducateur Sigma, non pour apprendre à utiliser son Aptitude, mais seulement pour maîtriser ses maux de tête. Toutefois, ces visites étaient primordiales pour elle, parce que cet éducateur lui montrait qu'elle n'était pas un monstre, qu'elle était simplement spéciale, contrairement à ce qu'affirmaient ses parents.
Ces derniers s'étaient beaucoup éloignés de la fillette, mais Gabriel lui ne rejetait pas sa sœur. Ils étaient toujours plus proches, d'autant plus qu'ils ne fréquentaient guère d'autres enfants. Cependant, à partir de l'annonce de l'Aptitude de Rebecca, Mary Jane décida qu'il serait plus sain pour Gabriel de fréquenter d'autres Lambdas, alors elle organisa des goûters auxquels Rebecca avait le droit d'assister, sa mère espérant ainsi la transformer.
Tout se passait dans le calme, Rebecca ne se rebellant pas contre la vie que lui imposaient ses parents. De plus son Aptitude étant invisible, elle réussissait à la dissimuler sans trop de mal. Elle devinait simplement la nature des pensées des gens qui l'entouraient sans qu'ils aient besoin de parler. Rebecca ne cherchait pas à améliorer ses pouvoirs, elle les subissait plutôt, prenant modèle sur son frère si normal. Cependant, l'enfant parvenait la plupart du temps à oublier son Aptitude.

Tout changea lorsqu'elle eut treize ans. Jusqu'alors, elle menait toujours la même routine, faisant l'école à la maison avec son frère et sa mère, allant aux messes données par l'Eglise de Résurrection et prenant part aux goûters où elle pouvait jouer avec d'autres enfants.
Toutefois, aujourd'hui, Gabriel avait dix-huit ans, il venait d'obtenir son Leaving Certificate avec mention et allait donc quitter le domicile familiale. Il souhaitait en effet étudier le droit et il avait obtenu une bourse importante. Si la décision du fils prodige avait été très difficile à accepter pour Mary Jane, elle se consolait en se disant qu'il deviendrait un grand avocat et ferait la fierté de la famille.
Mais le plus grand changement était pour Rebecca. Celle-ci se retrouvait en effet toute seule, perdant son meilleur ami et son seul confident. Elle fit une sorte de dépression, se murant dans le silence. Elle avait perdu toute énergie et toute envie, et ses parents ne s'en apercevaient pas, trop occupés par le départ de leur fils.
Ce qui sauva Rebecca, ce fut la décision d'aller à l'école. Elle y pensait depuis longtemps sans jamais osé en parler, mais cette fois, elle n'en pouvait plus de rester seule. Et contrairement à ce qu'elle appréhendait, ses parents ne firent aucune difficulté pour accepter. Bien entendu, Rebecca se doutait que c'était parce qu'ils avaient peur d'elle et de ce qu'elle était capable de faire avec son Aptitude mais le principal, c'était qu'elle allait enfin rencontrer d'autres jeunes et apprendre avec de vrais professeurs !
Les premiers jours furent un vrai bonheur. Rebecca pensait que l'intégration serait compliquée, parce qu'elle débarquait de nulle part mais au contraire, elle fut accueillie avec beaucoup de curiosité de la part des autres élèves. Rebecca répondit au flot de questions par des réponses évasives et courtes, ne souhaitant pas parler de sa vie. Ce qu'elle voulait, elle, c'était apprendre. Et c'est avec stupeur qu'elle s'aperçut qu'elle n'était pas la seule à avoir une Aptitude. Pour elle qui se voyait comme un monstre, ce fut une révélation. Le cours donné par les Sigma pendant leur service civique était une bulle de bonheur, où l'adolescente apprit à mieux maîtriser ses émotions pour dominer son Aptitude. Cependant, contrairement à d'autres élèves qui l'utilisaient tout le temps et chercher à l'améliorer par tous les moyens, cela restait un sujet tabou pour la jeune fille et elle faisait croire aux autres qu'elle était une Lambda.

Les années se déroulèrent ainsi, tranquillement. Rebecca s'épanouissait à l'école, mais redevenait la petite fille modèle, sage et obéissante, dès qu'elle rentrait à la maison. Elle ne souhaitait qu'une chose, que ses parents l'aiment et soient fiers d'elle, mais ils ne pouvaient s'empêcher de la craindre. Cependant, lorsque son frère revenait pour les vacances, leur complicité était toujours aussi forte et il était un vrai rayon de soleil dans la vie de l'adolescente qui l'idéalisait. Lui n'avait pas du tout les mêmes a priori sur les Sigma.
Si Rebecca continuait fidèlement de se rendre aux messes de l'Eglise de la Résurrection, elle avait de plus en plus de mal à y aller. Elle se sentait honteuse parmi ces lambdas qui détestaient les gens comme elle alors qu'elle n'avait rien demandé. Cela faisait longtemps qu'elle ne croyait plus en ce qu'ils prêchaient mais l'adolescente voulait faire plaisir à sa mère.

À quinze ans, Rebecca eut son premier petit copain, un garçon d'un an de plus qu'elle, un Sigma, plein d'assurance. Elle se sentait enfin comme une fille normale.
Mais lorsque sa mère la surprit un matin en train de se mettre du rouge à lèvres pour se faire belle, ce fut l'un des jours les plus horribles. Sa mère ne la frappa pas mais sa voix glacée était pire. Rebecca fut renvoyée dans sa chambre immédiatement et Mary Jane la garda enferma dans sa chambre pendant une semaine avec pour seule distraction, une bible.
Ce fut la première fracture réelle entre Rebecca et ses parents. À partir de ce moment-là, elle garda tous ses sentiments pour elle, ne montrant plus que l'image de la fille modèle, y compris à l'école. Les autres trouvèrent qu'elle était soudainement devenue froide, arrogante. Si l'adolescente n'était pas seule pour autant, elle n'avait plus d'amis proches. De toute façon, sa mère ne la laissait jamais sortir en dehors de l'école, ce qui interdisait à Rebecca toutes après-midis entre copines ou soirées pyjamas.
Alors la jeune fille se réfugia dans les livres, surtout ceux portant sur l'histoire et sur l'art, même si elle adorait également les fictions. Très vite, elle se retrouva passionnée de toutes les anecdotes historiques, des biographies de personnes ayant changé le monde mais aussi par les merveilles que révélaient les tableaux de grands maîtres ou les sculptures très fines gréco-romaines. Si Mary Jane l'empêchait de voir d'autres jeunes, elle fut cependant ravie de l'intérêt de sa fille pour l'histoire et l'art, alors elle ne fit aucune difficulté pour l'emmener dans tous les musées et bibliothèques de la ville, même si elle vérifiait auparavant que les livres n'étaient pas impies. Rebecca consacrait ainsi tous ses week-ends à sa passion, s'éloignant d'autant plus des autres jeunes de son âge.

Finalement, Rebecca eut dix-huit ans, et obtint son Leaving Certificate avec mention. Si l'adolescente comptait bien aller à l'université pour approfondir ses connaissances en histoire, ses parents s'y opposaient catégoriquement. Ce n'était pas la place des femmes d'étudier, encore moins pour les Sigma. John pensait qu'il était temps que Rebecca trouve un mari convenable, ait des enfants et s'occupe du ménage, comme le faisait si bien Mary Jane. Mais cette dernière n'était pas d'accord. Pour elle, Rebecca était une marque d'infamie, et aucun homme ne voudrait d'elle, et surtout, elle ne devait pas se reproduire. Même si le gouvernement avait affirmé que les Aptitudes n'étaient pas génétiques, Mary Jane était certaine du contraire. Les monstres n'engendraient que des montres. Alors, elle voulait obliger Rebecca à rentrer dans les ordres pour vivre dans un couvent, éloignée du monde. D'après toutes ses amies appartenant également à l'Eglise de la Résurrection, Mary Jane avait déjà été bien courageuse d'élever une Sigma pendant dix-huit ans. L'une d'elle avoua même qu'elle-même avait abandonné son enfant lorsqu'elle s'était aperçue qu'il avait une Aptitude. Alors aujourd'hui il était temps que Mary Jane soit débarrassée de ce fardeau.
Cependant, pour la première fois de sa vie, Rebecca décida de ne pas plier devant ses parents. Soutenue par Gabriel, qui était spécialement revenu au domicile familial pour l'aider à convaincre leurs parents, la jeune fille refusa de céder et insistait encore pour aller à l'université. Alors finalement, Mary Jane la mit au pied du mur : si Rebecca choisissait les études, alors elle n'aurait plus le droit de remettre les pieds chez elle.
Rebecca était effondrée, puisqu'elle n'avait pas d'argent, impossible de payer un loyer et les courses, sans compter les frais d'entrée à l'université. Son frère étant en internat, il ne pouvait pas non plus l'accueillir. Mais la jeune fille refusait d'abandonner son rêve et avait conscience que si elle cédait encore à ses parents, pour une question aussi cruciale, alors sa vie serait foutue en l'air.
Alors, elle fit son choix. Elle travaillerait jusqu'à ce qu'elle ait suffisamment d'argent de côté, elle ferait des sacrifices mais elle y arriverait. Bien sûr Rebecca se rendait bien compte que la vie serait compliquée, d'autant plus que sa mère avait toujours tout fait pour elle. La jeune fille de dix-huit ans ne savait même pas faire cuire des pâtes, et elle n'avait jamais été seule plus de quelques heures. Toutefois, elle était déterminée. Malgré son air obéissant, Rebecca n'était pas dénuée de caractère et maintenant qu'elle avait pris la décision, elle ferait tout pour la tenir.

Le lendemain de la dispute, Rebecca fit donc ses valises. Elle emporta ses vêtements et quelques objets personnels, en abandonnant sans regret cette maison. Gabriel l'aida à dénicher un petit studio meublé dans la banlieue de Dublin en se portant caution pour elle. De plus, il régla ses deux premiers loyers, le temps qu'elle trouve du travail.
Les premières semaines furent moins difficiles que ne l'aurait cru Rebecca. En effet, elle n'était que rarement chez elle, courant Dublin et déposant des Cvs partout. Évidemment, la tâche était difficile puisqu'elle n'avait aucune expérience, toutefois elle était motivée et refusait l'éventualité de retourner chez ses parents. Finalement, elle réussit à décrocher un travail dans un fast-food, puis un deuxième dans un bar de nuit. Lorsqu'elle ne travaillait pas, Rebecca continuait de s'instruire, allant dans les bibliothèques et musées.

Trois mois passèrent ainsi. Sérieuse, Rebecca parvenait à mettre beaucoup d'argent de côté, tout en payant son loyer et en mangeant des pâtes midi et soir.
Puis le patron du bar dans lequel elle travaillait lui fit une offre qu'elle ne put refuser. En effet, il était également propriétaire d'un autre bar, davantage réservé aux adultes. Il souhaitait l'agrandir et avait donc besoin de plus de serveuses. Cependant, celles-ci auraient des tenues courtes et devraient accepter des mains indélicates des clients. Conscient que Rebecca avait besoin d'argent, son patron lui proposa une augmentation considérable, tout en lui assurant qu'elle n'aurait pas à se déshabiller et qu'il ne s'agissait pas non plus de prostitution. Alors la jeune femme accepta.
Les premières semaines se déroulèrent sans accroc, notamment parce que Rebecca avait décidé d'utiliser son Aptitude pour éviter les clients les plus pervers. En effet, même si elle n'était pas capable de lire dans leurs pensées, elle sentait de qui il fallait mieux se tenir loin. Elle n'était pas tellement consciente de ses pouvoirs, même si elle trouvait que ses aptitudes s'amélioraient depuis qu'elles les utilisaient quotidiennement. Cependant, elle ne le faisait qu'au travail, une partie d'elle ayant toujours peur de cette Aptitude, la voix de sa mère lui sifflant qu'elle était un monstre ne la quittait jamais.

Et puis, un soir, un client spécial passa sa soirée dans le bar. Une vingtaine d'année, très chaleureux, le sourire aux lèvres. Rebecca tomba immédiatement sous son charme.
À dix-huit ans, la jeune fille n'avait encore aucune expérience avec les hommes et elle était partagée entre l'enseignement de sa mère, qui lui avait appris que sa virginité devrait être offerte à son mari, et ses envies, semblables à toutes celles de filles de son âge. Les seuls baisers échangés avaient été très chastes, simplement des pressions sur ses lèvres, et elle avait quinze ans. Maintenant Rebecca désirait plus, mais sa vie à l'écart des autres l'en empêchait. De plus, pas très à l'aise ni avec son corps, ni avec sa sexualité, difficile d'aller vers les hommes.
Cependant, ce client-là était différent. Visiblement, il n'était pas insensible au charme de Rebecca. Il revint pratiquement tous les soirs par la suite, et ce ne fut qu'après trois longues semaines qu'il aborda enfin la jeune serveuse. Il s'appelait Derek, le courant passa tout de suite, et ils décidèrent de se revoir dès le lendemain, jour de congé de Rebecca.
Ce soir-là, cette dernière avait des papillons dans l'estomac, des étoiles dans les yeux. Jamais elle n'avait connu ce genre d'émoi, et le simple fait d'imaginer ce qu'il pouvait se passer la rendait heureuse. Et le rendez-vous fut à la hauteur de ses espérances. Derek la courtisa et il clôt leur premier dîner par un baiser que Rebecca n'oublierait jamais. Dès lors, ils sortirent ensemble, même si Rebecca n'était pas encore prête pour coucher avec lui, malgré ses demandes de plus en plus insistantes.

Deux mois après leur première rencontre, Derek l'invita à une soirée où étaient également présents ses amis. Pas forcément à l'aise en société, Rebecca ne parvenait pas à se mêler à eux, jusqu'à ce que Derek la fasse boire quelques verres d'alcool. Le garçon lui promit qu'ensuite, elle se sentirait mieux alors la jeune fille, n'ayant jamais goûté une goutte d'alcool, céda à la tentation. Le premier verre fut difficile à avaler, la vodka lui brûlant la gorge. Puis la musique, la danse, la présence de Derek rassura Rebecca qui enchaîna les verres. Totalement ivre, elle se laissa faire lorsque les amis de Derek lui proposèrent de fumer des joints. Rebecca a complètement oublié la fin de la soirée, mais elle s'est aperçue le lendemain qu'elle n'était plus vierge, que Derek et elle avaient couché ensemble.

La jeune fille aurait pu se révolter et quitter son petit-ami, mais elle était trop amoureuse pour le faire. Ce fut le début de sa descente en enfer.
À présent, lorsqu'elle ne travaillait pas au bar, tous les soirs, elle sortait en compagnie de Derek et ses amis. Ils allaient en boite, buvaient trop et finissaient invariablement par fumer de l'herbe. Rebecca décida également d'emménager avec Derek. Pour elle, c'était le bonheur à l'état pur, l'extase. Elle n'avait jamais connu cette vie et profitait sans réfléchir. Elle dépensait sans compter l'argent qu'elle avait économisé, n'avait plus aucun contact avec sa famille.
Sans qu'elle ne s'en aperçoive, Rebecca devint accroc à l'adrénaline de ses soirées, à l'alcool, à la drogue. Un soir, un ami de Derek lui proposa une ligne de coke. Elle accepta, et s'aperçut que lorsqu'elle était défoncée, elle n'était plus télépathe, elle était une lambda comme les autres. Sous l'emprise de la drogue ou de l'alcool, Rebecca ne réussissait pas à se mettre sur la fréquence des autres. Pour la première fois, elle était réellement seule avec elle-même et cela lui faisait un bien fou.
Bientôt, Rebecca ne put plus se passer de drogue. Même en journée, même au travail, elle avait besoin de sa ligne. Complètement libérée, elle acceptait même de coucher avec les amis de Derek qui lui plaisaient. Une fois, elle avait été jusqu'à faire un plan à trois devant une caméra. Elle s'était sentie si vivante sur le coup...
Seulement, si Derek adorait sortir, il avait également une vie rangée tant que le soleil n'était pas couché. Étudiant en droit, il ne comptait pas rater ses études et l'alcool comme la drogue étaient réservés au week-end. Or, Rebecca ne pouvait vivre sans coke. Alors près de six mois après leur première rencontre, Derek demanda à sa petite-amie de choisir entre lui et la drogue, parce qu'il ne supportait plus de la voir constamment défoncée.

Rebecca choisit la drogue. Derek lui demanda alors de quitter son appartement. Ils ne se revirent plus depuis.
Ayant quitté le fast-food, la jeune fille n'avait plus que le travail dans le bar de nuit. Le patron ne la tolérait que parce qu'après avoir consommé de la drogue, Rebecca acceptait beaucoup plus facilement les remarques salaces et les mains déplacées des clients.
Toutefois, elle n'avait pas suffisamment d'argent pour payer un loyer. Elle fit alors la seconde rencontre qui allait changer sa vie. Bartholomew. Squatteur vivant à moitié dans la rue et dealer, il décida de prendre Rebecca sous son aile.
De cette période, Rebecca ne se rappelle pas grand-chose. Constamment sous l'emprise de la drogue, elle vivait dans des immeubles abandonnés ou dans des chambres miteuses de motels. Très vite intégrée au groupe de Bartholomew, ils se droguaient ensemble. Rebecca ne se souciait pas vraiment de la provenance de la drogue, puisque Bartholomew ne lui demandait jamais rien. De temps à autre, ils avaient couché ensemble, plus parce que Rebecca avait peur d'être rejetée que par réelle envie, mais de toute manière, Rebecca ne se souvenait pas vraiment de ce qu'ils faisaient ensemble.

Et puis un jour, dans la rue, elle croisa son père. Ce dernier ne la reconnut pas immédiatement. Rebecca s'était amaigrie, des cernes entouraient ses yeux et ses vêtements étaient de véritables loques, sales et déchirés. Elle-même ne vit pas John.
Celui-ci appela alors Gabriel, conscient qu'il était le seul capable de raisonner sa sœur. Il préféra ne pas prévenir Mary Jane, pour qui Rebecca n'était plus sa fille.
Gabriel retrouva sa sœur quelques jours plus tard. Il avait suffi de quelques recherches pour savoir où elle dormait actuellement, et le jeune homme de vingt-trois ans n'avait pas perdu de temps. Il était intolérable que sa petite sœur chérie se drogue et foute sa vie en l'air à cause d'un dealer à la con.
Il rejoignit la maison abandonnée où Bartholomew était occupée à piquer Rebecca pour lui fournir sa dose. La colère monta alors en Gabriel mais il se contint et se contenta de se diriger droit vers sa sœur, ignorant tous les camés qui ne lui opposaient aucune résistance, trop défoncés. Sans un mot, Gabriel donna un coup de poing violent à Bartholomew qui se renversa sur le sol, puis il saisit Rebecca sous les aisselles et la souleva aisément, la mettant sur son épaule. Il s'apprêtait à quitter ce lieu lugubre sans plus de cérémonie lorsque Bartholomew se redressa lentement et courut vers Gabriel en zigzaguant, un couteau à la main.

«Lâche la, t'es qui toi, elle est à moi elle !»

Gabriel se retourna, le regarda d'un air méprisant, puis continua son chemin. Ce dealer qui ne se tenait même pas droit ne l'effrayait absolument pas. Il faisait tâche avec son costume dans ce paysage.
Alors que Gabriel avait descendu la première marche, Bartholomew lui sauta dessus, par derrière, et lui planta sa lame dans le dos. Sous le choc du coup, le jeune homme lâcha brusquement sa sœur qui atterrit brutalement sur les marches. Hébétée, Rebecca ne semblait pas réellement comprendre ce qu'il se passait. Gabriel s'était violemment retourné pour faire face à son agresseur, mais ce dernier, sans perdre de temps, avec une nouvelle fois planter son couteau dans le ventre de Gabriel.

«Tu touches pas à mes meufs connard ! Tu fais moins le malin maintenant hein !»

Bartholomew chancela alors que Gabriel porta une main à sa blessure. Du sang coulait doucement. Un silence étrange s'installa, avant que le jeune homme ne s'effondre soudainement. Il hoqueta, murmurant à Rebecca d'aller chercher un médecin. Mais elle ne bougeait pas, perdue dans ses hallucinations. Bartholomew avait lui aussi décroché de la réalité. Gabriel attrapa son téléphone portable mais il n'y avait pas de réseau. Alors il se traîna sur les marches, mais il comprit vite qu'il n'irait pas loin. Il avait trop mal, il y avait trop de sang. Il tenta de secouer sa sœur, mais celle-ci ne réagissait pas.

Lorsque Rebecca reprit conscience, quelques heures plus tard, Gabriel était étendu près d'elle et son corps était froid. À ce moment-là, reconnaissant son frère, elle essaya de le bousculer, de le faire reprendre vie. Mais il n'y avait rien à faire.
Ce fut l'électrochoc dont avait besoin Rebecca pour changer de vie.

Le lendemain, Rebecca s'enfuit dans la nuit pour échapper à Bartholomew et au reste du groupe. Elle retourna chez elle, en pleurs, décomposée. Elle tenta d'expliquer à ses parents ce qu'il s'était passé, mais ses souvenirs étaient flous. John alla immédiatement prévenir la police et le corps fut découvert. Mais Bartholomew avait fichu le camp et il n'y avait aucune preuve pour affirmer les dires de Rebecca. Alors après quelques recherches, l'enquête fut très vite laissée de côté. Les policiers n'avaient pas de temps à perdre avec des petits meurtres entre dealers alors que les manifestations de Sigma contre le gouvernement étaient de plus en plus violentes. Mary Jane et John, trop polis et respectueux des lois, n'osèrent protester.
Rebecca fut envoyée en cure de désintoxication. Son père marchanda son retour avec sa mère. Rebecca dut s'excuser et faire amende honorable. Pour racheter ses péchés, elle dut aller en pèlerinage pendant l'été. Rebecca était redevenue la petite fille modèle, sage et silencieuse. Toutefois, elle avait bien changé. La mort de son frère lui pesait énormément. Elle avait pleinement conscience du fait qu'elle en était la cause, parce qu'il était venu la chercher, parce qu'elle ne l'avait pas sauvé. Elle ne se le pardonnerait jamais. Mais elle devait vivre pour lui et pour racheter ses fautes impardonnables.

En septembre, ses parents acceptèrent qu'elle aille à l'université. Sa mère ne lui adressait plus la parole et plus Rebecca était loin, mieux elle se portait. John lui, en voulait à Rebecca mais la considérait toujours comme sa fille. Toutefois, il pensait également qu'il valait mieux qu'elle s'éloigne. Il était persuadé que le temps adoucirait les blessures. De toute façon, il était hors de question qu'il perde sa dernière enfant. Les parents ne surent jamais réellement ce qu'il s'était passé dans la maison abandonnée.

À la rentrée, Rebecca entra donc en histoire de l'art. Cet univers était tout nouveau pour elle, mais elle restait enfermée sur elle-même, coincée entre sa culpabilité et sa peur de retomber dans la drogue. Tous les jours, la tentation était plus forte mais elle résistait, regardant une photographie de son frère à chaque fois qu'elle était sur le point de contacter Bartholomew. Elle avait tué son frère, elle méritait de souffrir.
Ses parents refusant qu'elle habite seule, ils l'obligèrent à trouver une colocation. Si l'idée déplaisait à Rebecca, qui souhaitait affronter ses démons elle-même, elle obéit et dénicha un appartement où logeait déjà un jeune homme. Immédiatement, le courant passa entre eux et Rebecca décida de s'installer avec lui. Jamais il n'y eut d’ambiguïté entre eux et en quelques jours à peine, il devint le meilleur ami de la jeune fille. Neal n'était pas au courant de son passé trouble, mais sans le savoir, il l'aidait, au jour le jour. Ils passaient la majorité de leurs soirées ensemble, même si Neal l'abandonnait de temps à autre pour faire la fête avec ses amis. Il lui apportait beaucoup, la faisant rire. À l'université, les connaissances de Rebecca restaient limitées, elle paraissait froide et distante, arrogante. Alors les autres ne l'abordaient pas et la rousse ne cherchait pas non plus de nouvelles amitiés. Neal lui suffisait.
Ses résultats étaient exemplaires. Une fois par mois, elle passait son dimanche chez ses parents. Le repas était glacial mais Rebecca s'obstinait, consciente qu'elle avait de la chance qu'ils subviennent toujours à ses besoins.
Cependant, pour éviter de se tourner les pouces, la jeune fille occupait la moindre minute, de peur de retomber dans ses travers. Elle passait donc des heures à nouveau dans les musées, à reproduire les croquis ou à noter des informations. Elle dévorait des montagnes de livres et ne cessait d'apprendre.

Un an et demi passa ainsi et Rebecca avait atteint un semblant d'équilibre. Puis elle rencontra une jeune fille, Nola. Comme avec Neal, ce fut un coup de foudre amical. Nola n'avait cure de l'apparence froide de Rebecca et l'affrontait directement, lui disant ce qu'elle pensait sans détour. Sa franchise faisait un bien fou à Rebecca.
Alors à la rentrée suivante, alors que la rousse entrait en troisième année de licence, Nola rejoignit leur colocation. Neal et Rebecca choisirent donc un appartement plus grand. Neal et Nola s'entendaient également à merveille, même si les petites frictions étaient fréquentes. Loin de les fâcher, ces disputes les rapprochaient davantage encore.
Ainsi, pour la première fois, Rebecca confia à ses deux meilleurs amis son passé douloureux. Elle avait peur qu'ils la jugent, il n'en fut rien. Ils tentèrent de la déculpabiliser et lui promirent de l'empêcher de toucher à la drogue.

Cependant, au cours de cette troisième année, Rebecca tomba par hasard sur Bartholomew. Elle était avec Nola et Neal qui la protégèrent, mais depuis ce jour-là, Bartholomew harcèle la jeune fille. Il essaie de la pousser à revenir avec lui, de la convaincre qu'elle ne peut pas vivre sans lui. Pour l'instant, Rebecca a toujours réussi à l'éviter plus ou moins, mais elle ne sait pas combien de temps elle tiendra.

Aujourd'hui, Rebecca est entrée en master, elle a choisi de faire un master professionnel en patrimoine, avec l'espoir de s'occuper d'un musée dans le futur.
Pour devenir plus indépendante de ses parents, elle a également trouvé quelques heures d'aides aux devoirs avec un petit des quartiers riches qui vit seul avec son père. Rebecca s'entend très bien avec l'enfant et cela lui fait un petit revenu qu'elle met soigneusement de côté.

Rebecca ne suit pas tellement l'actualité, perdue dans le passé. Elle est au courant que des enfants Sigma sont enlevés mais elle ne sent pas concernée. Seuls Neal et Nola savent qu'elle a une Aptitude, mais Rebecca ne la montre pas et ne l'utilise pas et se considère comme une lambda. Elle essaie donc de se détacher de ces enlèvements, de ne pas y penser. Après tout, ce ne sont pas ses affaires, c'est à la police de s'en charger. Quant à son opinion sur le gouvernement, elle est neutre. Rebecca a suffisamment à faire avec ses propres problèmes pour ne pas se soucier de ceux des autres.